Choses vues – Vivatech 2018: IA partout, IA nulle part ?
Le « CES a la Française » fermera ses portes ce soir.
La 3e edition de Vivatech, grand barnum de l’innovation, buffet à volonté de buzz et de tech, organisé par Publicis et Les Echos, était hier et avant hier réservée aux professionnels. Les portes sont ouvertes aujourd’hui au grand public. Soit, deux tiers de business confidentiel, pour un tiers d’éducation des masses aux merveilles de la technologie ?
Mythologie technologique
Plus ou moins. En réalité la mythologie technologique et les effets de mode planent autant sur les costumes-cravates que sur les geeks en goguette.
Ainsi les robots sont-ils de la partie, du jour 1 au jour 3. Mais les plus visibles sont les plus « bêtes » : des androïdes aux coques de plastique peu flatteuses, peu mobiles, aux fonctions limitées, et qui ne font plus illusion dans ce genre de salon: le fantasme C-3PO persiste mais le réel n’atteint pas même ce vieux compagnon Hollywood. Ce sont pourtant des entreprises sérieuses qui les construisent ou, surtout, les utilisent pour communiquer sur ce genre de salons.
Les drones qui volent, pour leur part, sont des cousins fort proches de ceux que votre petit neveu aura pour cadeau à Noël. Ils sont là, ils sont sérieux, ils ont un modèle économique, ils font déjà partie du paysage industriel. Ceux qui ne volent pas sont, eux, des paris parfaitement incertains sur les réels besoins des « urbanites »: des voitures volantes, version autonome et quadrirotors. On en rêve tous, c’est évident. Non ? Mais une place de choix leur est faite, et des entreprises réputées sérieuses s’obstinent à en faire des hits de leur booth.
Et puis il y a l’intelligence artificielle.
C’est simple: elle est partout. Tout projet, tout pitch de startup, toute démo ou « case » se doit d’être smart, au minimum, ou fondé sur le meilleur des algorithmes de deep learning, pour les plus pointus.
Sauf que quand la SNCF, par exemple, s’enorgueillit d’être entrée dans l’ère des gares intelligentes parce qu’elle équipe les escalators de capteurs qui se limitent à envoyer l’information « marche » ou « arrêt » à un système cartographique, on ne voit pas bien pourquoi cette intelligence n’est pas d’actualité depuis 1972. Et l’on a bien souvent l’impression que l’IA n’est guere plus qu’une incantation.
Et surtout, pour celles des des startups et multinationales qui développent véritablement des systèmes informatiques méritant le nom d’IA (donc capables d’évoluer au fur et à mesure qu’ils extraient des modèles inédits de grands jeu de données et que ces modèles apportent une information utilisable et répondant à un problème que l’humain ne pouvait résoudre en un temps raisonnable), pour celles des entreprises qui font vraiment de l’IA, donc… les visées sont à des années lumières des grands espoirs qu’Hollywood dès les années 1960 et les chercheurs qui inventèrent le champ dans les années 1950 associèrent à l’IA.
Ce que les entreprises demandent à l’IA ? Ne pas rendre l’homme plus curieux, plus prudent, plus intelligent. Ne pas lui donner les moyens de s’élever. Mais, d’abord, accélérer les échanges, simplifier les tâches, réduire le nombre d’humains pour accomplir une tâche donnée. L’IA qui intéresse le business, c’est l’IA qui rend plus riche, au seul sens économique du terme. Voilà qui pourrait ne pas faire rêver tout le monde. Et qui affuble d’intelligence la moindre martingale commerciale faisant plus de 10 lignes de code.
En pratique, le meilleur de l’IA aujourd’hui (et c’est authentiquement remarquable) bat l’homme à des jeux difficiles (échec, go), perçoit parfois mieux que lui (images, son, texte), mais reste très limité dans sa capacité à prédire et planifier. Et ne comprend goutte.
Les chercheurs de Facebook (programme FAIR) et de l’ENS Paris, par exemple, tentent laborieusement de faire découvrir à leurs systèmes ce que des enfants de quelques mois reconnaissent naturellement (le fait notamment qu’un objet dissimulé par un autre continue d’exister). C’est un des thésards de FAIR qui l’a très intelligemment dit. En rappelant qu’il se contentait de faire de la recherche fondamentale, comme conscient de l’incongruité de cette démarche en ces lieux. Et c’était à Vivatech aussi.