[Chronique] – E-santé: prendre soin ou prendre garde ?
Les yeux qui piquent ? Marre des écrans ? Vous pouvez écouter cette chronique.
Sinon, bonne lecture !
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Connectés. Nous sommes tous connectés. A nos amis, à nos collègues, à nos familles, au grand déversoir des réseaux, fake et true news.
Face à nos écrans et les doigts sur nos claviers mobiles, nous ne perdons pas une miette du monde que nous habitons.
Nous savons tout de ce que la vie moderne nous fait. Mais la puissance numérique nous étourdit. L’accès permanent au plus proche autant qu’au plus lointain, cet ouvroir incessant des possibles, nous impose une radicale discipline de soi. Qu’ai-je vraiment besoin de savoir ? Qu’est-ce qui est bon pour moi ? Qu’est-ce qui est bon pour tous ? J’ai allumé mon smartphone, mais au fait, quelle question étais-je en train de me poser ?
Recentrage cognitif
Sans surprise, de très vieilles techniques de recentrage cognitif se sont faites à nouveau indispensables ,pour nous permettre de ne pas nous faire emporter par la grande trépidation numérique. La méditation de pleine conscience, les mille et une variantes du yoga, s’installent sur les tapis de nos salons, gagnent les moquettes de nos bureaux climatisés.
Mais c’est oublier que la grande trépidation numérique (aussi connue sous le nom de transformation digitale), elle aussi, se sent à l’aise dans ces espaces de repli intime.
J’en veux pour preuve suffisante que déjà fleurissent les casques de neurofeedback, dont les électrodes et les algorithmes, nous promettent de sympathiques startupers, vont nous aider à mieux méditer, mieux nous recentrer. En un mot : mieux réussir cette entreprise redoutable qu’est la discipline de soi. Alors même que celle-ci a pour premier critère de réussite, justement, l’autonomie, l’abstraction au moins temporaire aux injonctions du quotidien.
Réflexions oiseuses, me direz-vous. Critique en chambre, luddisme à bas bruit, de qui n’a pas assimilé le mariage heureux de la bonne vie et de l’orthèse numérique.
Parole de cobaye
Eh bien non. Regard critique, oui, sans doute. Mais de celui qui a offert 15 jours à l’hypothèse que la technologie numérique puisse l’aider à mieux se sentir, à prendre soin – non pas de son esprit, ce sera peut-être pour plus tard – mais au moins de son corps.
Tout a commencé quand, un beau jour de printemps, j’ai dit oui à une équipe de recherche parisienneJe m’étais signalé comme volontaire, quelques semaines auparavant, pour une expérience sur les objets connectés. Nous avons rapidement convenu d’un rendez-vous. Lors de ce rendez-vous, une très dynamique chercheuse m’a indiqué comment porter, pendant deux semaines, donc, une ceinture connectée, une montre connectée, et un tensiomètre électronique.
Dûment équipé, j’ai alors passé deux tests. J’ai d’abord joué à plusieurs jeux informatiques, mêlant dextérité et concentration, dont les scores étaient d’autant plus élevés que j’étais précis et rapide. Un test de réaction physiologique au stress, donc. Je me suis ensuite presque endormi, lors d’une séance de méditation. Ce test ci permettait de connaître mes paramètres cardiovasculaires au repos et détendu. J’ai, aussi, rempli des questionnaires détaillés sur mes habitudes sportives, sociales, alimentaires…
L’équipe de chercheurs pour qui j’ai ainsi joué les cobayes espère découvrir les indicateurs susceptibles d’aider les bien-portants à mieux se protéger de pathologies cardiovasculaires, et les malades chroniques à mieux éviter complications et autres crises.
Elle compte pour cela sur l’analyse en temps réel des 45 paramètres envoyés à chaque instant par les capteurs connectés. L’idée étant de pouvoir suggérer à tout instant aux porteurs des capteurs de poursuivre ou modérer un effort. L’idée étant aussi de rendre leurs médecins plus pertinents.
Un goût de trépidation numérique
Voilà de bien louables intentions. Mais, pour en avoir fait la tout à fait concrète expérience, je leur trouve un petit goût de…trépidation numérique.
Car, cobaye que j’étais, je n’ai pu m’empêcher de prêter davantage attention à mon rythme cardiaque, à ma tension, que je ne le fais d’ordinaire (c’est à dire : pas du tout). Ce qui, du point de vue des chercheurs, est chose excellente : faire attention à soi est la première des médecines.
Oui, mais … Faire attention à ce qu’on ignorait jusqu’ici, c’est ajouter une ligne au tableau toujours plus long des choses que l’on s’impose de vouloir contrôler. C’est s’inquiéter d’indices auxquels on restait sourds, peut-être pour d’excellentes raisons. C’est se fixer par jeu, par curiosité, des objectifs : vais-je réussir à atténuer mon rythme cardiaque ? Ma tension sera-t-elle plus basse si je change ma routine de réveil ou de coucher ? Et, surtout, c’est confier le royaume intime de sa propre discipline à une technologie complexe, administrée par d’autres.
Besoin du numérique pour se sentir vivre ?
Bien sûr, les chercheurs sont conscients de cela. Lorsque j’ai rendu les différents capteurs, le stress qu’ils sont susceptibles d’induire faisait partie du dernier questionnaire qu’il m’a alors été demandé de remplir.
Je n’ai cependant pas pu m’empêcher de demander à la chercheuse à qui j’ai remis ce questionnaire si, finalement, l’idéal n’était pas de porter un temps ses précieux capteurs, pour prendre l’habitude d’écouter son corps, et pouvoir ensuite le faire sans équipement high tech. Elle a semblé trouver l’idée intéressante.
J’ai quitté les lieux et, en marchant, j’ai finalement trouvé cette idée assez peu pertinente. A-t-on vraiment besoin du numérique pour se sentir vivre ?